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15 octobre 2010

The Social Network - David Fincher

socialn

C’était pas le film le plus attendu de la rentrée parce que 500 millions de personnes voulaient comprendre comment elles en étaient arrivées là. La génèse du projet, à la limite, n’a d’intéressant que le premier jet, facemash, ou l’épiphanie de Mark Zuckerberg : les gens ont kiffé non pas parce que les filles étaient bonnes, mais parce qu’ils connaissaient les filles bonnes.

Si on recentre la chose, on a donc ce Seth Cohen 2.0 bien plus atteint (oui, je crois que la montée en puissance du "nerd" est en passe de légitimer la référence, so stick with me), plus doué et dangereux, quasi autiste, à l’origine du réseau social le plus connu du monde, qui pèse des milliards de dollars et nous asservit tous, toujours autant depuis 2004. Premier défi : mettre quelques millions de répliques cultes entre les mains d'acteurs à l'image de cette jeunesse blindée > le casting, émergent, où chacun gagne son ticket vers la crédibilité – Jesse Eisenberg en a probablement terminé avec les films de fête forraine où il tente désespérément de se faire dépuceler par Kristen Stewart, Armie Hammer passe du guest blaguesque de Gossip Girl à l’antagoniste non seulement convaincant, mais dédoublé ! Justin Timberlake joue un mec qui s’est donné à cœur joie de foutre un doigt à l’industrie musicale, juste pour ça, respect – parce qu’indéniablement, il est solide. Ils sont maîtrisés, émouvants – kudos to Andrew Garfield et son art infaillible des yeux rouges et humides – tous participant d’un refus de manichéisme convenu, la moindre des choses pour un biopic non autorisé (et pour un film de Fincher du reste). Le propos semble être : "Chacun sa merde" et surtout "chacun pour soi", d'où le pincement au coeur quand on mate la trajectoire d'Eduardo Saverin (le seul nom en rouge quand tu tapes facebook sur wiki) qui pensait que le film parlait d'amitié. Et malgré tout, Zuckerberg est tout sauf détestable.
Le pitch, c’est que malgré le beau rêve de rassembler le plus de monde possible, malgré la concurrence inévitable autour du gâteau, on aboutit toujours au même constat: it’s lonely at the top.
Rien de plus accrocheur que le bon vieux paradoxe. C’est dans un contexte où la communication se développe jusqu’à saturation que cette dernière finit par ne plus passer. Le débit verbal mis en place dès le début indique la vitesse à laquelle tourne ce monde-là, il faut parler vite, il faut caser ta phrase, et au bon moment, écoute Mark, si tu prends pas le rythme : "you're gonna get left behind". Les dialogues incisifs qui défilent à toute allure, qui te malmènent presque – la scène d’ouverture où Mark se fait larguer par sa copine est tout simplement une torture exquise pour les personnages comme pour le spectateur – punchline après punchline, et ce, non stop, semblent porter sans effort ce bloc massif et dense de deux heures. Fincher dit qu’au vu de ces deux heures dont il disposait, il était tout simplement nécessaire de faire parler ses personnages vite. Marrant, ha ha, il n’en reste pas moins qu’on en redemande – Aaron Sorkin ftw, à qui l’on doit le scénar de Des hommes d’honneur entre autres.   

Avec Facebook, ce n’était en effet pas vers autrui qu’on s’ouvrait mais vers un aggravement de notre égocentrisme : Mark Zuckerberg ne voulait pas fournir l’éclate permanente à ses semblables, ni ça ni le fric apparemment, il voulait qu’on sache qu’il existe ; tout comme toute action possible sur facebook n’est clairement plus dirigée vers tes « potes » : tu le sais, tu es celui qui regarde le plus tes photos, détaille le plus ta liste d’amis croissante, et tu te parles tout seul dans ton social status – dieu te garde de penser un jour que quelqu’un en a quelque chose à foutre – avec l’autolike en prime si tu es vraiment grave. Si fb a véritablement dévoilé quelque chose, c’est qu’une bonne poignée de ses utilisateurs avait juste besoin d’un blog, d’un psy ou d’une figure paternelle.

Et on ne dit pas ça à longueur de journée parce qu’on déteste fb. C'est certainement la trouvaille de cette décennie en effet - je pense que tous les spectateurs se sentent drôles quand la première chose qu'ils font en rentrant chez eux du ciné est d'ouvrir leur page pour dire à quel point le film était trop coool. Maintenant, ce que propose le film, ce sont les différents motifs possibles d'une telle création : la glorification de l'élitisme, le doigt d'honneur à l'autorité, et bien sûr, la fille. Ces toiles de fond, immergées dans une ambiance verdâtre et des lumières froides (alliance heureuse à une musique particulièrement somptueuse et inquiétante), s'entrechoquent avec les séquences de procès qui les relatent. Véritable pilier dynamique, cette alternance met curieusement de l'ordre, même si elle déroute au début, dans le chaos du conflit entre Mark et le reste du monde. Que ce soit dans la mise en place jouissive de facemash, le passage en revue de la correspondance entre Zuckerberg et les Winklevoss ou la rencontre avec Sean Parker, les parallèles nous stimulent parce qu'ils viennent renchérir là où l'on croyait que la mitraillette à dialogues faisait tout le boulot. Texte dense chargé de sous-texte, doublé de sur-texte, bref, des couches qui s'empilent, des changements d'angles audacieux, tout ce qui est nécessaire à la multiplication maximale du point de vue. La distance par rapport aux flash-backs parvient à se ressentir malgré la rapidité de l'alternance : les fragments courts se serrent les uns contre les autres, se superposent même, ils se coupent la parole comme dans les vraies séquences de dialogue pleines.

Plus globalement, le film démontre que l'expansion d'un tel phénomène aboutit forcément à une mise en marge, théorème qui s'applique à tous les protagonistes. Le cloisonnement des personnages dans leurs séquences et dans leurs plans l'illustre bien : les diverses parties qui s'affrontent en justice ne font finalement que se croiser par la force du récit puis du montage, de sorte que chacun ne baigne que dans ses convictions, tandis que le spectateur ne sait pas plus qui mérite le dernier mot. On l'a bien compris, au sein de cette mise en scène plutôt classique, The Social Network est fondé sur le montage : il met en scène le conflit, il ne relie les personnages que pour signifier l'énorme écart entre eux (cf. les conversations téléphoniques Mark/Eduardo, ou Mark/Sean) et il répartit l'élément central du film, symbole du pouvoir, la parole.
Nul doute que Fincher signe ici son meilleur film. Un phénomène de mode, un hit générationnel, un film pop, ouais ok, mais un modèle incontestable d'écriture. Charger le truc à ce point pour en faire émaner une légèreté pareille, et chercher à larguer celui qui regarde pour faire en sorte qu'il s'accroche de toutes ses forces (ce qu'il fait), c'est déjà du génie en soi. Et quand la forme rencontre le fond, on peut dire que c'est gagné.

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